nihiliste

Le nihiliste n’est pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit pas à ce qui est.

Albert Camus, L’homme révolté (2), Gallimard.

David Farreny, 22 mars 2002
Kadnir

Je passai quatre mois à Kadnir. À peine si j’en garde un souvenir précis, seule l’impression que vraiment j’y étais bien, que c’était là mon bonheur. Sans haut, ni bas, le bonheur.

C’était à Kadnir.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 36.

David Farreny, 14 avr. 2002
oublié

Lazare, plus tard, dirait à Rosie qu’il avait le regret profond, douloureux, de l’énorme magnolia de Brive, qui chaque printemps ouvrait dans leur jardin ses fleurs blanches, épaisses, aux durs pétales empesés et duveteux, il lui dirait encore que le bonheur à Brive avait pour lui les couleurs de ce magnolia inodore et un peu raide sur leur bout de pelouse maigre. Rosie, elle, ne se souviendrait d’aucun magnolia, de nulle splendeur douteuse. Pour répondre à Lazare, elle évoquerait vaillamment la longue rue droite et jaune, leur maison jaune, le soleil permanent qui nimbait Brive d’une lumière chaude. Mais Lazare ne se rappellerait rien de jaune à Brive, il aurait même oublié Rose-Marie (c’est Lazare qui, à Paris, avait entrepris de l’appeler Rosie) et Rosie, solitaire, encombrée de réminiscences jaunes flottantes, cesserait de parler de Brive à Lazare, écoutant simplement en prenant garde de n’en rien absorber, de ne pas s’en laisser pénétrer, l’histoire de ce magnolia qui ne lui était rien.

Marie NDiaye, Rosie Carpe, Minuit, p. 53.

David Farreny, 14 déc. 2002
pauvres

Tu viens de me rejoindre. Tu es là. Je t’aime. Tu m’apportes quelques beignets dans une assiette. Du cidre. On parle un peu. On a le temps aujourd’hui. Qui pourrait venir ? Et moi je n’ai pas à m’absenter…

Te regarder.

T’écouter.

C’est tout.

Tu vois : nous sommes pauvres.

Thierry Metz, Le journal d’un manœuvre, Gallimard, p. 107.

David Farreny, 3 août 2004
cages

Violemment agitées les cages, mais toujours des cages.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.

David Farreny, 7 août 2006
pensé

Je connaissais bien entendu les inconvénients de la formule ; je savais que le désir s’émousse plus vite au sein d’un couple constitué. Mais il s’émousse de toute façon, c’est une loi de la vie ; et il est peut-être possible, alors, d’atteindre une union d’un autre ordre — beaucoup de personnes, quoi qu’il en soit, l’ont pensé.

Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, pp. 187-188.

David Farreny, 11 mars 2008
problèmes

Un des gros problèmes que j’ai c’est avec les films étirables.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 7.

David Farreny, 9 juin 2008
tribunal

Je ne sais plus ce que c’est que le temps libre ni la paix. Toujours une grande voix sévère me rappelle combien je suis ignorant et que je vais mourir, qu’il ferait beau voir que je sois un instant sans chercher à comprendre ce qui s’est passé avant que tout finisse. Le tribunal siège en permanence.

Pierre Bergounioux, « lundi 28 janvier 1985 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 372.

Élisabeth Mazeron, 12 nov. 2008
modulations

Aller un peu mieux, un peu moins bien, ce ne sont que les modulations d’une universelle condition, qui consiste à être, et dont on ne sait pas quoi dire d’autre. Je suis, voilà ce que tu entendais ta mère déclarer au téléphone, je suis, avec incertitude, hésitation, parce qu’on n’en est jamais tout à fait certain. Que répondre à cela ? Et puis, tu ne le sais pas encore tout à fait, mais cela viendra, on le sait en toi, et pour toi, il n’y a rien à dire de ce qui est.

Pierre Jourde, Festins secrets, L’Esprit des péninsules, p. 303.

David Farreny, 2 déc. 2009
épouvantail

À défaut de se reposer sur l’absence d’attributs, ce serait bien si l’on avait la capacité de se dédoubler. On s’assiérait au fond du parterre pour se regarder soi-même sur la scène par-dessus l’épaule du spectateur. Ou bien on gagnerait quelque tertre garni d’herbe fraîche pour se contempler, au loin. On se verrait courir à toutes jambes dans la poussière des années, talonné par la lueur de petits épouvantails avec des culottes courtes, des chapeaux de paille, trois mots griffonnés. On verrait l’éclair froid de l’acier, la flamme atteindre le simulacre, des lambeaux de tissu voler dans tous les sens, un peu de fumée et ce qui est, d’une certaine manière, soi, le bonhomme tout nu avec son unique bouton, ses cloques et ses estafilades en train, déjà, de filer comme un rat en ramassant, dans sa course, des brindilles, des nippes, des mots pour bâcler, un peu plus loin, un nouvel épouvantail pareillement promis au fer et au feu.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 27-28.

Élisabeth Mazeron, 4 juin 2010
résonance

Tout était changé, mes résistances enfoncées. Je ne comprenais plus comment j’avais pu me refuser cette joie, cet enrichissement de mon monde intérieur. C’est sans doute Bach qui était le plus convaincant, parce que le plus surprenant et inouï. Le rythme, les mélodies et leurs variations, la composition lisible au moins dans ses grandes lignes, et très clairement, la coexistence d’une simplicité mélodique et de réserves de complexité, j’avais espéré cela. […] L’ennui, Bach révélait qu’il était riche de formes virtuelles, du goût de vivre et de la joie d’avoir un espace de résonance en soi, l’ennui était fait pour accueillir ça, Bach, « ça » en révélait la profondeur, qui jusqu’alors semblait n’être qu’une inertie mentale dans laquelle les pensées tournaient en rond.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 13 mars 2011
soldat

Dans le bus, un soldat tenait soigneusement sur ses genoux une grande vitre (pour une voiture probablement) et tout le monde se moquait de lui parce que, ayant souci de cette chose délicate, il n’avait plus l’air d’un soldat.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 124.

Cécile Carret, 28 juin 2012
étendue

Il faut en France beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fonds pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom ; et que méditer, parler, lire, et être tranquille, s’appelât travailler.

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 242.

Guillaume Colnot, 28 fév. 2013
statue

F. a annoncé son arrivée par quelques lignes. Je ne la saisis pas, elle est extraordinaire, ou plutôt, je la saisis, mais je ne peux pas la tenir. Je cours autour d’elle en aboyant comme un chien nerveux autour d’une statue, ou encore, pour montrer l’image contraire, tout aussi vraie : je la regarde comme l’animal empaillé contemple l’être humain vivant paisiblement dans sa chambre. Demi-vérités, millièmes de vérités. Seul est vrai le fait que F. viendra probablement.

Franz Kafka, « Lettre à Max Brod (mi-septembre 1917) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 796.

David Farreny, 29 juin 2014

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