littérature

De ce qu’il n’y a point de parallélisme entre le réel et le langage, les hommes ne prennent pas leur parti, et c’est ce refus, peut-être aussi vieux que le langage lui-même, qui produit, dans un affairement incessant, la littérature. On pourrait imaginer une histoire de la littérature, ou, pour mieux dire : des productions de langage, qui serait l’histoire des expédients verbaux, souvent très fous, dont les hommes ont usé pour réduire, apprivoiser, nier, ou au contraire assumer ce qui est toujours un délire, à savoir l’inadéquation fondamentale du langage et du réel.

Roland Barthes, Leçon, Seuil, p. 22.

David Farreny, 22 mars 2002
biologique

J’évitais au monde des révolutions douloureuses et inutiles — puisque la racine de tout mal était biologique, et indépendante d’aucune transformation sociale imaginable ; j’établissais la clarté, j’interdisais l’action, j’éradiquais l’espérance ; mon bilan était mitigé.

Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, Fayard, p. 159.

David Farreny, 21 sept. 2005
littérature

La littérature c’était quelqu’un.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 123.

David Farreny, 1er janv. 2006
audaces

Levé à cinq heures. Je suis en grève. J’attaque aussitôt la difficulté sur laquelle je me suis cassé les dents, mardi. Il faut la pointe de l’esprit, celle neuve, aiguisée que nous rend la nuit, et si prompte à s’émousser, à se briser, pour percer l’espèce de paroi qui me sépare de ce qu’il faut écrire. J’aurai couvert la première page vers neuf heures mais devrai attendre le milieu de l’après-midi pour venir à bout de la deuxième. Il me semble soudain m’être rapproché de la fin. Écrire garde à mes yeux, malgré le temps, sa prime et tenace étrangeté. À la relecture, je perçois encore l’assemblage labile des parcelles ternes, hétéroclites, mal solidifiées, mal liées, que je suis allé chercher je ne sais où, comme en apnée, les choix petits, les pauvres résolutions, les misérables audaces au prix desquels j’ai ajouté deux ou trois mots à ceux qui précédaient, hasardé le début d’une nouvelle phrase, cheminé à la façon d’un escargot vers le bas de la page, les trois et quatre heures d’un labeur violent qu’il a fallu pour remplir un feuillet 21 x 29,7. C’est le lendemain, ou plus tard, encore, que le désordre du chantier, le brouillard d’affects pénibles, d’incertitude et d’impuissance sentie, le halo des possibilités écartées, à chaque pas, s’estomperont. Je ne percevrai plus que le fil mince de ce qui est écrit, et, du même coup, les gauchissements, faiblesses, obscurités, solutions de continuité qui l’affectent et qui m’ont échappé dans le trouble et le tremblement dont je l’ai tiré.

Pierre Bergounioux, « jeudi 20 octobre 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 736.

David Farreny, 20 avr. 2006
alvéole

La nuit était maintenant si noire que seul le bruit plus clair de mes bottes m’a appris que j’avais regagné la route. À quelques mètres de la maison, deux yeux dorés et brûlants qui perçaient l’obscurité à hauteur de ma ceinture m’ont fait tourner la tête : ceux d’un matou, aussi blanc et, pour son engeance, aussi gros que le cheval, qui s’était blotti dans un muret. Son corps épousait exactement les bords de la cavité laissée par un moellon que le vent (que lui ?) avait fait chuter. Il ne laissait dépasser que ses moustaches où une miette de morue était restée prise et ce n’était pas cette nuit-là que l’on l’aurait délogé de son alvéole. Son museau froncé n’exprimait que ressentiment et dépit. Que faisait-il donc dehors dans cette furieuse bourrasque alors que dans les chaumières barricadées derrière leurs volets tirés et une obscurité trompeuse, il y avait – je le sais – un âtre où se tord la tourbe, un coin éclairé où les femmes tirent l’aiguille, et les gamins, la langue, sur leurs devoirs écrits avec une plume à bec d’acier qui accroche et grince ? Un étalon : passe encore. Je conçois qu’un cheval, surtout de la taille de celui qui venait de me quitter, pose au coin du feu – et quel que soit son bon vouloir – un problème volumétrique que même un écolier fort en thème aurait du mal à résoudre. Mais un chat ? Flagrant délit de larcin de poisson séché et foutu à la porte ? Il faudra que je m’informe.

Nicolas Bouvier, Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot & Rivages, p. 33.

Cécile Carret, 4 fév. 2008
transition

[…] la musique s’enflant à présent comme nous pénétrions dans une pièce où une femme et deux autres hommes dansaient, dont l’un tenait en main un verre vide et qui nous ayant aperçus cessèrent de danser et s’approchèrent de nous, sauf l’homme au verre vide qui tout en prenant notre direction s’efforçait de trouver une transition douce entre la danse et le déplacement normal, et qui parvint à notre hauteur légèrement déhanché encore, puis se stabilisa, bonsoir, dit-il, bonsoir, dîmes-nous l’un après l’autre en énonçant nos prénoms, parfois suivis de nos patronymes, tandis que l’homme au verre vide repartait en se déhanchant modérément […].

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 104.

Cécile Carret, 21 sept. 2008
travaille

— Mais moi monsieur, je travaille !

— Bien sûr, que pourriez-vous faire d’autre…

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 73.

David Farreny, 27 juin 2010
autre

Il y a des années que je ne touche plus la femme qui a le courage de vivre avec moi. Ça ne m’empêche pas de l’aimer. Ça m’empêche d’en toucher une autre.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 50.

David Farreny, 24 mars 2012
esthétique

Les autobiographies intéressantes pourraient abonder si écrire la vérité ne constituait pas un problème esthétique.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 36.

David Farreny, 3 mars 2024
autre

Une autre solitude serait-elle possible ?

Éric Chevillard, « mercredi 8 juillet 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
dissous

Ce qui coule, avec les larmes, ce sont les nerfs dissous par la pitié de soi.

Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer