possession

Peut-on reprendre possession d’une chose ? N’est-ce pas la perdre ?

Franz Kafka, « 9 août 1920 », Lettres à Milena, Gallimard, p. 182.

David Farreny, 23 mars 2002
remplacer

Que je le dise enfin […] : n’importe quel caillou, par exemple celui-ci, que j’ai ramassé l’autre jour dans le lit de l’oued Chiffa, me semble pouvoir donner lieu à des déclarations inédites du plus haut intérêt. Et quand je dis celui-ci et du plus haut intérêt, eh bien voici : ce galet, puisque je le conçois comme objet unique, me fait éprouver un sentiment particulier, ou peut-être plutôt un complexe de sentiments particuliers. Il s’agit d’abord de m’en rendre compte. […] Il ne s’agit pas tellement d’en tout dire : ce serait impossible. Mais rien que de convenable à lui seul, rien que de juste. Et à la limite : il ne s’agit que d’en dire une seule chose juste. Cela suffit bien.

Me voici donc avec mon galet, qui m’intrigue, fait jouer en moi des ressorts inconnus. Avec mon galet que je respecte. Avec mon galet que je veux remplacer par une formule logique (verbale) adéquate.

Francis Ponge, « My creative method », Méthodes, Gallimard, p. 23.

David Farreny, 23 mars 2002
prise

Vous voyez Beckett, le beau visage de Beckett taillé dans l’os, abrupt, sans prise pour les expressions vicieuses ou vulgaires, trop moites et qui décrochent. Vous voyez la haute silhouette altière de Beckett, la pointe aiguë de son œil éternellement jeune. Vous connaissez ses livres.

Éric Chevillard, « Les taupes », Scalps, Fata Morgana, p. 44.

David Farreny, 14 déc. 2004
non-accomplissement

J’appelais aussi : « Oh ! toi, qui m’es tellement et pour qui je ne suis presque plus rien peut-être, mirage toujours au milieu de mon horizon, visage si beau toujours à distance, combien mon être est dans la misère quand je songe à notre amour. Oh ! non-accomplissement. Je ne sais plus chercher mon bien. Je ne sais plus fuir mon mal. Les terres labourées sont derrière moi. Oh ! comme la pensée de cela est difficile à porter. »

Henri Michaux, « Vents et poussières », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 172.

David Farreny, 9 nov. 2005
cependant

Cependant il faut essayer, forçant sa voix vers la gaieté, vers l’attention, la légèreté, la maîtrise de soi, de ne sembler pas trop fou, pas trop absent, pas trop détaché du monde et de tous ceux de ses minuscules coups de théâtre qui n’affectent en rien le seul essentiel qui vaille, et qui fait tout votre petit malheur. Il faut tâcher de répondre aux questions quelles qu’elles soient, et même d’en poser deux ou trois, pour la bonne mesure, en s’efforçant de ne pas oublier d’attendre les réponses. Vos paroles néanmoins sortent tout de travers, vous avez un chat dans la gorge, vos silences même surviennent mal à propos, se chargeant apparemment, sans qu’on les ait priés de rien, de messages qui sont bien les derniers, même, que vous vous seriez soucié d’émettre.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., p. 34.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
joué

Louise, déchaînée, grossière (à cause des chaussures manquées) :

— Des godillots défraîchis, c’est à quoi me donne droit le grand amour sur lequel j’ai joué toute ma vie.

Louise amère. Consternée. Grincheuse. Plaintive. Soudain lasse de vivre. Les traits tirés. Le masque prématurément vieilli. Les yeux fatigués. En route pour le suicide. Les cimetières. Les chrysanthèmes. L’hôpital. La salle commune. L’indigence. La mendicité. À la dérive. À quoi bon vivre. En imagination prête pour les jérémiades, les lamentations. Les hanches lourdes. Les jupes négligées. La vie gâchée. Les savates éculées. Louise mal mariée. Soudain accablée, révoltée. Un ciel sourd et vide. Louise douloureuse, décoiffée, rébarbative.

— On va divorcer, dit-elle.

Un phare égaré éclaire son visage, y inscrit cruellement les traits accentués de ses inutiles désirs. De ses rêves irréalisés.

Marcel, désolé, lui assure qu’elle les aura, les souliers. Les voici réconciliés.

Marcel se tait. À son tour, il paraît déprimé. Prêt aux opérations chirurgicales. Aux piqûres de morphine. À l’hospice municipal. Au canal. À l’accordéon. Au violon. Au litron. À la loterie nationale. À la sébile. Aux chansons dans le métro. Aux lacets. Aux crayons. Aux Tours Eiffel. Aux cacahuètes. À l’amadou. À la méditation sérieuse et prolongée.

Donc il se tait. Avale la salive pour éteindre et noyer le feu de quelques paroles brûlantes disgracieuses vives et pittoresques.

Hélène Bessette, La tour, Léo Scheer, p. 42.

Cécile Carret, 18 mars 2010
numérique

Le numérique est la fin de la pensée ondulante. Le numérique est la pensée remplacée par le stockage de mémoire, la dictature de la quantité et de l’absence de choix. Au Moyen Âge les scolastiques construisaient des Théâtres, des Palais de la mémoire, architectures imaginaires pour loger leurs souvenirs, tels des gratte-ciel au fond de l’hippocampe, des Manhattans dans chaque cellule. Tout cela est fini, il n’y a plus la volonté, il n’y a plus que les serveurs, les machines à stocker. Peu importe. J’aurai bientôt tout oublié.

François Beaune, Un ange noir, Verticales, p. 145.

David Farreny, 23 août 2011
céder

On ne connaît qu’une méthode pour se soulager de la hantise amoureuse : y céder.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 184.

Cécile Carret, 9 mars 2014
contre

Il y a quelque chose de spirituel qui peut être dit pour et contre toute chose. Un homme d’esprit pourrait, bien sûr, prendre le contre-pied de cette affirmation, et saurait même me la faire regretter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 290.

David Farreny, 13 janv. 2015

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