fonds

Est-ce moi, tous ces visages ? Sont-ce d’autres ? De quels fonds venus ?

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 320.

David Farreny, 13 avr. 2002
découragement

On ne prête pas le flanc au découragement, soudain on est le découragement entier.

François Rosset, L’archipel, Michalon, p. 102.

David Farreny, 5 fév. 2004
exclure

Je sais à quoi je ressemble et, sans me cacher, je m’efforce d’être discret, m’exposant le moins possible, choisissant la pénombre au lieu du plein soleil. C’est pourquoi la vue d’un mongolien sur une plage ou dans un restaurant me scandalise, non parce que, trouvant plus disgracié que moi, j’aurais ainsi l’occasion d’atténuer par contraste ma laideur ou de me sentir vengé, mais parce que m’exaspère le larmoyant souci de ne pas exclure, lequel n’est que l’ancestrale peur des gueux, des réprouvés, des maudits, c’est-à-dire une manière de refuser de voir et de nommer le monde.

Richard Millet, Le goût des femmes laides, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 24 fév. 2006
lares

Le monde du quelconque n’a pas cessé, n’a pu être dépassé.

Objets d’usage, dont on va changer l’usage, objets qui n’en restent pas moins objets…

Ils ont ici quitté leurs habitudes mais c’est pour entrer autrement dans l’habitude, la perpétuité du quotidien à jamais.

Inéloignables compagnons que partout on retrouve. Dieux lares devenus infirmes.

Henri Michaux, « En rêvant à partir de peintures énigmatiques », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 708.

David Farreny, 15 juin 2006
forme

Pourquoi des conversations ? Pourquoi tant d’échanges de paroles des heures durant ? On revient s’appuyer sur un environnement proche et avec des proches s’entretenir de proches, afin d’oublier l’Univers, le trop éloignant Univers, comme aussi le trop gênant intérieur, pelote inextricable de l’intime qui n’a pas de forme.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
tête

Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d’objectif, la densité de l’air s’altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement, jusqu’au soleil lui-même qui a une autre tête.

Jean Echenoz, Je m’en vais, Minuit, p. 207.

David Farreny, 12 mars 2008
incendie

toute cigarette finit au cendrier

toute marée se meurt sur la dent du rocher

tout spectacle s’éteint

dans le fracas des strapontins

et même ton souvenir qui s’arme dans cet écrit

finira lui aussi dans la chaleur de l’Incendie

William Cliff, « La Coruña », Marcher au charbon, Gallimard, p. 68.

David Farreny, 4 sept. 2009
conjonction

Au début, j’eus du mal à croire que Sophie Gironde était de nouveau à mon côté, et que pour la rejoindre il n’y avait pas besoin d’attendre une conjonction de rêves particulière ou de voyager trois mille ans à travers les lentes laideurs obscures de l’enfer. Parcourir quelques mètres suffisait pour que je m’approche d’elle, étendre la main suffisait pour la toucher. Voilà ce qui m’étonnait. J’allongeais la main vers elle, j’ouvrais le bras comme pour l’inviter à danser, et aussitôt je retrouvais, dans leur banalité merveilleuse, les gestes de la rencontre amoureuse, ces gestes rabâchés mais qui toujours, quand aucun partenaire ne ment, offrent des vertiges inépuisables. Sans avoir à languir le temps d’une vie, simplement une seconde après l’avoir désiré, je pouvais maintenant caresser son épaule, la naissance de son dos, puis l’attirer enfin contre moi, avec une douceur dont on n’ose rêver que dans les rêves, contre ma bouche et mon corps que le long abîme de l’absence avaient rendus incrédules.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 88.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
profiteroles

Puis il se tut, et le silence se prolongea longtemps, Jed finit par perdre légèrement conscience. Il eut la vision de prairies immenses, dont l’herbe était agitée par un vent léger, la lumière était celle d’un éternel printemps. Il se réveilla d’un seul coup, son père continuait à dodeliner de la tête et à marmonner, poursuivant un débat intérieur pénible. Jed hésita, il avait prévu un dessert : il y avait des profiteroles au chocolat dans le réfrigérateur. Devait-il les sortir ? Devait-il, au contraire, attendre d’en savoir davantage sur le suicide de sa mère ? Il n’avait de sa mère, au fond, presque aucun souvenir. C’était surtout important pour son père, probablement. Il décida quand même d’attendre un peu, pour les profiteroles.

« Je n’ai connu aucune autre femme… » dit son père d’une voix atone. « Aucune autre, absolument. Je n’en ai même pas éprouvé le désir. » Puis il recommença à marmonner et à hocher de la tête. Jed décida, finalement, de sortir les profiteroles. Son père les considéra avec stupéfaction, comme un objet entièrement nouveau, à quoi rien, dans sa vie antérieure, ne l’aurait préparé. Il en prit une, la fit tourner entre ses doigts, la considérant avec autant d’intérêt qu’il l’aurait fait d’une crotte de chien ; mais il la mit, finalement, dans sa bouche.

S’ensuivirent deux à trois minutes de frénésie muette, où ils attrapaient les profiteroles une par une, rageusement, sans un mot, dans le carton décoré fourni par le pâtissier, et les ingéraient aussitôt.

Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, pp. 215-216.

David Farreny, 12 sept. 2010
mainates

Nous nous embrassâmes. Sophie Gironde avait grossi. Elle avait l’air triste. Elle vint se frotter avec impudeur contre moi pendant plusieurs minutes, comme si nous étions seuls au monde ; elle me soufflait sur le visage une haleine capiteuse de chamane fatale, elle me touchait les omoplates et les hanches, et nous restâmes ainsi, suspendus dans la lumière imprécise, incapables de prononcer la moindre syllabe et même de formuler une pensée nostalgique ou constructive, seulement conscients de notre absence de passion et conscients qu’autour de nous les secondes s’égrenaient et que des corbeaux atterrissaient sur le bitume et s’assommaient, des vautours moines, des hornbills, des mainates, des pigeons. Après un moment, Patricia Yashree se joignit à nous et déploya sur nous un châle noir qu’elle avait porté jusque là sur les épaules, et elle nous enlaça. Avec une tendresse incrédule, nous nous balancions tous les trois sur le trottoir, échangeant de confus messages charnels, désolés de ne pas être plus émus car, pour tout dire, nous ne réussissions pas à savourer pleinement l’instant.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 194.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
connu

Connaissance totale de soi-même. Pouvoir encercler l’étendue de ses capacités, comme la main enveloppe une petite balle. Prendre son parti de la plus grande déchéance comme de quelque chose de connu, à l’intérieur de quoi on reste encore élastique.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 254.

David Farreny, 28 oct. 2012

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer