courage

Pour exprimer la vie, il ne faut pas seulement renoncer à beaucoup de choses, mais avoir le courage de taire ce renoncement.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
enfoncé

J’ai préféré la solitude aux entraînements de la bavarderie, de la chasse, de la pavane, de tous les bruits à deux ou en bande. Au fond de mes maisons, au soir de journées devenues denses et lentes, je me suis enfoncé au plus profond et au plus sourd de moi, dans une sorte d’alerte ou de pétrification dont je ne supporte plus qu’on me tire à l’improviste.

Il existe dans ces tuyauteries auxquelles mes araignées normandes me font songer des détours, des dérivations que l’on dirait inutiles, bras morts des rivières obscures, parenthèses dans le discours muet. Il suffit de se pencher derrière un lavabo ou d’ouvrir la «  plaque de visite  » des baignoires pour découvrir ces cols de cygne en plomb, ces S majuscules où j’imagine que mes noiraudes espèrent trouver, à l’écart du grand collecteur, un refuge sûr. L’image me poursuit parce qu’elle contient tout ce qu’il faut pour exprimer ma sensation, qui est de m’enfoncer dans du noir, de l’humide, et de chercher ce coude étréci de mon souterrain où personne, jamais, n’aura l’idée de venir me traquer.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 214.

David Farreny, 26 avr. 2009
roulé-boulé

Je bondis ; clenchai et me précipitai par la porte ; tête à droite : rien ! Tête à gauche : la porte d’entrée ne venait-elle pas de retomber dans la serrure ? ! Je fis trois pas (je mesure un mètre quatre-vingt-cinq et j’ai de longues jambes !) – et vis disparaître quelque chose de brun vis-à-vis dans le verger. […]

Chasse au brun : les branches m’offrirent une leçon d’escrime dans les règles de l’art, quarte, tierce, seconde latérale. Un soleil douteux tachait partout.

Traque dans les chemins des labours. Après cent mètres nous étions arrivés au bord des rochers, et mon brun se précipita la tête la première dans les noisetiers. Je dégringolai la paroi en roulé-boulé ; donnai de la souplesse à mes articulations – mondieu, ça allait de plus en plus vite ! – fus roulé dans le ruisselet, collé contre le tronc d’un sapin ; et me rétablis bras écartés : un glissement en contre-haut ; les buissons se mirent à taper sauvagement autour d’eux ; je me ramassai et amortis de tout mon corps le ballon brun ; au visage de fille, à la tête sablonneuse : nous nous sommes tenus ainsi un moment. Le temps de souffler.

Assis l’un à côté de l’autre. « Oui, je l’ai » avoua-t-elle haletante, à propos de ma clé.

Arno Schmidt, « Échange de clés », Histoires, Tristram, p. 71.

Cécile Carret, 22 nov. 2009
stupeur

48. Choses qui frappent de stupeur

En nettoyant un peigne, on est arrêté par quelque chose, et il se brise.

La voiture dans laquelle on se trouve est renversée ! On pensait qu’une machine aussi lourde, bien établie sur ses roues écartées, resterait toujours debout, et tout à coup on croit rêver ; on se demande, avec stupéfaction, comment la chose a pu se faire.

Quelqu’un, enfant ou adulte, dit sans précaution, en présence d’une certaine personne, des choses dont il devrait éviter, par respect, de parler devant elle.

On a, toute la nuit, attendu un ami qui, pensait-on, devait sûrement venir. À l’aube, on oublie un moment cet homme, on s’endort ; mais tout près, un corbeau croasse : « kô », et l’on se réveille brusquement. Le jour est venu. On est frappé de stupeur.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 137.

David Farreny, 12 avr. 2011
face

Le profil de l’ouvrier est assez plat, comme une grande claque de face à la naissance. Ses cheveux noirs sont gris de poussière blanche, comme un shampooing sec. Les pores de sa peau sont bouchés, comme des points noirs mais blancs.

Christian Gailly, Les fleurs, Minuit, p. 55.

Cécile Carret, 4 mars 2012
perpétrer

Et ces deux qui glissent comme des voleurs ? Qui gagnent sur la pointe des pieds la pénombre de leur chambre à coucher ? Pourquoi des gestes si furtifs ? Pourquoi cette honte ? Ces secrets ? Pourquoi, en résumé, a-t-on pris l’habitude d’aller se cacher pour baiser ? Quand on a la conscience tranquille, on ne cherche pas à se dissimuler… Il doit y avoir autre chose. D’autres causes, une autre raison… Reprenons Schopenhauer : si les amants, nous dit-il, semblent gênés de ce qu’ils vont faire, s’ils sont en effet honteux, ce n’est pas tant, comme on le croit, à cause des pauvres cochonneries auxquelles ils vont se livrer dans le noir, que parce qu’ils s’apprêtent malgré eux à perpétrer un mauvais coup, voilà pourquoi ils n’ont pas la conscience tranquille…

Etc., etc. Le péché ne serait donc pas dans l’acte lui-même mais dans sa conséquence reproductrice ? Et tout le monde le saurait sans vouloir le reconnaître ? La culpabilité, les sentiments d’angoisse, proviendraient de la transgression d’une injonction morale, certes, mais pas du tout celle qu’on croit ? Et par conséquent il n’y aurait pas d’acte plus élevé, plus moral, que celui consistant à s’abstenir de se prolonger ? D’où s’expliqueraient aussi les tentatives acharnées à travers les siècles pour essayer de prouver le contraire en pénalisant l’acte lui-même afin de resanctifier ses effets ?

Etc., etc.

Philippe Muray, Postérité, Grasset, pp. 407-408.

David Farreny, 6 déc. 2012
réveil

Encore une journée qui s’en va, une journée carnivore

et l’ai-je retenue ? J’ai dormi. Et pendant mon sommeil, j’ai vieilli.

Ma paresse, ce vieux serpent qui me conseille

m’a dit, comme toujours : « Attendons à demain.

Ces changements sont lents, si lents, on a le temps —

les forces sont inégales,

bouger, c’est dépenser cette énergie exacte

dont tu auras besoin, demain, pour te lever

et rayonnant, forcer les anges du néant.

Demain, il est encore temps, allons dormir :

cette journée qui s’en va fera place à une autre,

à une autre qui point, qui vient, qui sera là,

et qui, dans sa beauté explosive, sera

ta journée de réveil, terrible et décisive

Benjamin Fondane, Poèmes retrouvés, Parole et Silence, p. 44.

David Farreny, 27 avr. 2013
promeneur

Chérie, chérie, comme c’est magnifique que l’été revienne en plein automne, et comme c’est bien, car on pourrait difficilement supporter le changement des saisons si on n’y faisait équilibre intérieurement. Chérie, chérie, mon retour du bureau vaut la peine d’être raconté, d’autant qu’il ne m’arrive rien d’autre qui vaille cette peine. À six heures et quart, je sors d’un bond par la grande porte, je regrette ce quart d’heure gaspillé, je fais un demi-tour à droite et je me dirige vers la place Wenceslas ; puis je rencontre quelqu’un de connaissance qui m’accompagne et me raconte des choses intéressantes, j’arrive chez moi, j’ouvre la porte, ta lettre est là, j’entre en elle comme un promeneur qui, fatigué de marcher à travers champs, pénètre maintenant dans les bois. Certes, je m’égare, mais cela ne m’effraie pas. Puissent tous les jours finir ainsi.

Franz Kafka, « lettre à Hedwig Weiler (octobre 1907) », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 603.

David Farreny, 20 avr. 2014
rallongent

Les jours rallongent et je ne suis pas prêt.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 155.

David Farreny, 30 juin 2014
certaine

Aime ton prochain comme toi-même : c’est-à-dire avec une certaine honte.

José Camón Aznar, Aphorismes du solitaire.

David Farreny, 6 janv. 2015
trottinette

Que fait ce galopin sur une trottinette ?

Éric Chevillard, « vendredi 15 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016

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