prosaïquement

Sur les murs étaient accrochés ces nouveaux tableaux animés, constamment en mouvement ; il s’agissait de deux machines bidimensionnelles qui se déplaçaient en bruissant doucement, comme le flux d’un océan lointain. Ou, pensa-t-il plus prosaïquement, comme une autofab subsurface. Il n’était pas très sûr d’aimer ça.

Philip K. Dick, Les Clans de la Lune Alphane, Albin Michel, p. 101.

Guillaume Colnot, 23 avr. 2002
solitude

Je crois profondément que la civilisation a été inventée pour rendre possible la solitude.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 327.

David Farreny, 19 mai 2002
attention

La mort de l’œuvre a pu naître de la belle intention d’en finir avec la barrière entre l’art et la vie (d’où les happenings, body art, land art, etc.). Mais pour être généreuse, l’intention n’en est pas moins naïve, bornée. Car l’art n’est pas la vie, qui, elle, est imperceptible a priori : l’art est un moyen de percevoir la vie. Il faut une délimitation, un cadre — une forme — pour que notre attention soit disponible à la vie, et c’est cette délimitation qu’opèrent, et nous aident à opérer, ces choses qu’on appelait « œuvres ».

Jean-Philippe Domecq, Artistes sans art ?, 10/18, p. 229.

David Farreny, 26 déc. 2006
inconsistance

Il est vrai que mon existence parmi les choses avait toujours manqué d’un certain poids. J’étais un homme d’inaction et je vivais avec le souci constant de ne pas déranger l’ordre des réalités qui m’entouraient et auxquelles j’avais affaire. Je subissais le monde plutôt que je ne l’affrontais. Et mon rapport aux êtres — aux humains comme aux objets — procédait d’un fond de passivité qui m’avait toujours facilité le passage à travers les médiocres épreuves de ma vie. Je laissais les événements se produire. Je laissais le temps dénouer les crises. Autant que possible, je limitais mes interventions et évitais les décisions catégoriques et les initiatives risquées. Si je connaissais quelquefois l’indignation, elle n’allait jamais jusqu’à la révolte. Rarement l’émotion m’arrachait un geste. Elle demeurait enfouie dans les limbes de l’inexpression. D’une façon générale, en toute circonstance quelque peu difficile, je faisais confiance à ma puissance d’inertie. L’immobilité était mon seul système de défense contre les menaces ambiantes. Immobilité et silence — car ma propre parole fuyait les mots dès qu’elle était mise en demeure de répliquer ou de s’expliquer. Et ainsi avait coulé ma vie dans cette ville fluviale où l’espace coulait avec les eaux et où la couleur du ciel avait toujours cette nuance indécise du regard qui rêve. Jusqu’à ce que je fusse mis en face de l’évidence insoutenable de cette blancheur sans rien, apparue soudain au cœur de mon univers, ma vie n’avait été qu’une coulée muette et une rêverie sur cette coulée. Espoirs et désespoirs, attentes et déceptions, travaux et peines avaient passé comme cet autre sourire au fond de tout sourire sur un visage qui s’ignore — moins qu’une trace, moins qu’une ombre, moins qu’un soupir… et si peu de souvenirs, d’avoir vécu. J’étais l’inconsistance personnifiée.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, pp. 66-67.

Élisabeth Mazeron, 17 mars 2010
déclin

Au début, en échange de la citoyenneté, on leur a abandonné les travaux les plus durs, la voirie, le terrassement, les chantiers, les chaînes de production, les ordures et le nettoyage. Comme ils s’en sont accommodés, on leur a par après laissé le soin de faire des enfants, besogne elle aussi trop souvent pénible, bruyante, accaparante et sale. Restèrent les loisirs, les jeux, les fêtes, les plages, mais dont l’attrait finit par se ternir. Et finalement, comme il n’y avait plus rien à faire ni à penser, ni à attendre, plus de but à la vie, sinon un ennui interminable et lourd, on finit par leur déléguer le souci des fins dernières. Alors même que depuis longtemps, on s’était détourné des dieux traditionnels, on s’intéressa à leurs cultes si curieux, à leurs interdits si sévères, à leur jeûne si rigoureux. Arrivé à ce point, bien sûr, il n’y eut, de la civilisation en question, plus rien à sauver, sinon mourir. C’est du moins ce que les historiens nous disent du déclin de Rome.

Jean Clair, « déclin », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 133.

David Farreny, 21 mars 2011
nain

Buter sur une limite, de tête, de cœur, de main, de temps… Toujours revenir à ce constat simple : la vie devrait être un continuel élan libre, et elle est perpétuellement restreinte, tenue à l’étroit par le réel, brimée, voire interdite. Tout rabattre à ras, dès lors, revient à maintenir possible un bonheur nain.

Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 32.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
GPS

Je ne veux rien savoir de plus. Je me laisse guider. Ne rien savoir de la collusion organisée de toutes ces données transformées en ondes électromagnétiques qui viennent se fracasser mathématiquement dans le boîtier noir de la voiture de location pour ordonner ma route. J’ai coupé le son, je me confie à l’image, au ruban infini qui se déploie sur l’écran du GPS pour avancer dans ce pays inconnu. Pas d’obstacles, une merveilleuse illusion de continuité, représentation parfaite de la bêtise, d’autres diraient représentation acceptable de la réalité. The magic box, m’avait dit le garagiste. J’ai entendu dire que le GPS est en train de modifier en profondeur la perception que nous avons de notre positionnement et de la manière dont nous allons d’un endroit à un autre. La notion même d’itinéraire deviendrait aujourd’hui problématique, certains, par extension, allant même jusqu’à être persuadés que tout est localisable, temps et sentiments compris. Il est de plus en plus difficile, semble-t-il, d’accepter de ne pas savoir où l’on est, et par voie de conséquence il est de plus en plus difficile de savoir où l’on est. L’usage des cartes, des légendes, le maniement des échelles, le sens de l’orientation et le représentation de soi dans le paysage, tout cela tient désormais à un seul trait fluide de couleur rose ou verte qui se dévide placidement dans le silence de ses erreurs inaperçues. Sur les derniers kilomètres, je coupe tout et je reste concentrée. C’est là. Ce pourrait être là.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 121.

Cécile Carret, 16 mars 2012
soldat

Dans le bus, un soldat tenait soigneusement sur ses genoux une grande vitre (pour une voiture probablement) et tout le monde se moquait de lui parce que, ayant souci de cette chose délicate, il n’avait plus l’air d’un soldat.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 124.

Cécile Carret, 28 juin 2012
rayonnement

Mais ce dont je me souviens, plus que de la forme du bâtiment ou de l’atmosphère des salles et des couloirs, c’est de l’impression que j’eus en arrivant, ce jour d’hiver, sur la grande terrasse formant belvédère et donnant sur le paysage de collines assez élevées des monts du Lyonnais. Alors que je me serais plutôt attendu à l’enchaînement de visions un peu sinistres que ce genre de maisons de repos manque rarement de provoquer – vieil homme avançant péniblement derrière son déambulateur dans un couloir beige orné de plantes vertes et d’affiches reproduisant des tableaux impressionnistes, groupe de vieilles femmes en robe de chambre s’efforçant de boire une tisane ou un thé au goût de carton dans un réfectoire où un sapin de Noël décoré que personne ne regarde clignote sans fin –, je me retrouvais dans une sorte d’apothéose hivernale : non ces jours où une lumière d’or accentue les reliefs en les creusant, accordant à toute chose d’avoir l’air de séjourner – un instant – hors du temps, mais un de ceux, et ils sont moins nombreux encore, où le concours du brouillard et du soleil aboutit à une sorte d’émulsion qui est comme un milieu de lumière vaporisé où tout semble flotter et être en gloire, la visibilité, à laquelle pourtant en règle générale on tient, étant remplacée par l’affirmation sereine, enthousiaste, juvénile et sans âge, d’un pur rayonnement.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
prié

Puis je fus prié de quitter la chambre de la maternité où j’avais vu le jour et dès lors je ne fis qu’errer.

Éric Chevillard, « jeudi 4 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 juil. 2013
instrument

J’ai de plus en plus souvent le sentiment que mon écriture ne manque pas une occasion de se faire l’instrument même de mon étiolement intérieur.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 188.

David Farreny, 16 oct. 2014

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