apéritifs

Prévenez-moi si la vie commence

je ne voudrais pas rater ça

les heures deviennent longues

entre les apéritifs

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 66.

David Farreny, 20 mars 2002
cuve

D’abord il l’épie à travers les branches.

De loin il la humine, en saligoron, en nalais.

Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.

Ça le soursouille, ça le salave,

Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hahan.

Il pâtemine. Il n’en peut plus.

Donc, il s’approche en subcul,

l’arrape et, par violence et par terreur la renverse

sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.

Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,

la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,

(lui gridote sa trilite, la dilèche).

Ivre d’immonde, fou de son corps doux,

il s’y envanule et majalecte.

Ahanant éperdu à gouille et à gnouille

— gonilles et vogonilles —

il la ranoule et l’embonchonne,

l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.

Enfin ! triomphant, il l’engangre !

Immense cuve d’un instant !

Forêt, femme, terre, ciel animal des grands fonds !

Il bourbiote béatement.

Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !

« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…

et léger comme une plume, Madame. »

Henri Michaux, « Rencontre dans la forêt », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 416.

David Farreny, 20 mars 2002
coudre

Cet inapaisable hurlement, des heures, des jours durant, que rien, qu’aucune menace, aucun pourparler n’arrêteront. Ce hurlement sans fin, ce hurlement spécial du vent par vagues et par reprises et damnés crescendos nous provoque, nous oblige nous-mêmes à hurler.

Si encore il y avait une raison, mais impossible d’en trouver une. Cette machine à nous coudre à des fous qui courent et qu’on ne voit pas est la plus haïssable qui soit.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 300.

David Farreny, 13 avr. 2002
conversation

Victime d’une conversation il doit s’aliter.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 32.

David Farreny, 19 nov. 2006
histoire

Finie la vie. Il n’en reste plus. On pourra seulement, si on le veut absolument, en faire l’histoire.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 208.

David Farreny, 4 mars 2008
vérité

Maintenant ma conviction est faite. Ce voyage est une gaffe. Le voyage ne rend pas tant large que mondain, « au courant », gobeur de l’intéressant coté, primé, avec le stupide air de faire partie d’un jury de prix de beauté.

L’air débrouillard aussi. Ne vaut pas mieux. On trouve aussi bien sa vérité en regardant quarante-huit heures une quelconque tapisserie de mur.

Henri Michaux, « Ecuador », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 204.

David Farreny, 12 mars 2008
ou

Je couvre, à grand-peine, trois pages. Il me semble me mouvoir dans le vide, fouler un sol aride, ébouleux pour atteindre quelque chose qui se trouve — ou ne se trouve pas — à une distance indéterminée qu’il faut franchir pour que la rencontre ait lieu — ou non.

Pierre Bergounioux, « dimanche 7 novembre 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 528.

David Farreny, 2 fév. 2012
connu

Connaissance totale de soi-même. Pouvoir encercler l’étendue de ses capacités, comme la main enveloppe une petite balle. Prendre son parti de la plus grande déchéance comme de quelque chose de connu, à l’intérieur de quoi on reste encore élastique.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 254.

David Farreny, 28 oct. 2012
peu

On est dégoûté du monde par la partie haute de son intelligence, on le supporte par les parties moyennes de son esprit et on ne le goûte que par les fondements un peu bas de son âme.

Henri de Régnier, « Le bonheur des autres ne suffit pas », L’égoïste est celui qui ne pense pas à moi, Flammarion, p. 49.

David Farreny, 3 mars 2016
pérégrination

Seul le cauchemar de l’histoire nous laisse deviner le cauchemar de la transmigration. Avec une réserve cependant. Pour le bouddhiste, la pérégrination d’existence en existence est une terreur dont il veut se dégager ; il s’y emploie de toutes ses forces, effrayé sincèrement par la calamité de renaître et de remourir, qu’il ne songerait pas un instant à savourer en secret. Nulle connivence chez lui avec le malheur, avec les périls qui le guettent du dehors et surtout du dedans.

Nous autres, en revanche, nous pactisons avec ce qui nous menace, nous soignons nos anathèmes, sommes avides de ce qui nous broie, ne renoncerions pour rien à notre cauchemar à nous, auquel nous avons prêté autant de majuscules que nous avons connu d’illusions. Ces illusions se sont discréditées, comme les majuscules, mais le cauchemar reste, décapité et nu, et nous continuons à l’aimer parce qu’il est précisément à nous, et que nous ne voyons pas par quoi le remplacer. C’est comme si un aspirant au nirvāna, las de le poursuivre en vain, s’en détournait pour se rouler, pour s’enfoncer dans le samsāra, en complice de sa déchéance, à peu près comme nous le sommes de la nôtre.

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 924.

David Farreny, 7 mars 2024
convenances

Dans le secret de son cabinet, Caraco laissait libre cours à ses aigreurs d’atrabilaire, mais, tel Philinte dans Molière, pour la vie en société, il se prescrivait une sagesse semblable à un stoïcisme de cour, tenant les bonnes manières pour les vertus les plus droites. Le misanthrope conséquent se montre avisé en observant – tant qu’elles durent – les convenances, ces principes civils de non-agression et de comédie amicale que les humains eurent la prudence d’établir afin de limiter leur détestation réciproque. Ayant tout à redouter de leur « fraternité », il mise, en un mot, sur la politesse, utile mascarade permettant d’exprimer son mépris sous des dehors aimables et, par là, de préserver son quant-à-soi. Barbey d’Aurevilly conseillait de même. « La politesse, disait-il, est le meilleur bâton de longueur entre soi et un sot et qui nous épargne même la peine de frapper. » À cette judicieuse politique, Caraco prêtait aussi une valeur esthétique.

Frédéric Schiffter, « Haïr la vie à en mourir (Sur Albert Caraco) », Le charme des penseurs tristes, Flammarion.

David Farreny, 4 mai 2024

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