comme

J’ai parlé cette semaine, au téléphone, à propos de Plieux et de ce que je souhaiterais y faire, à toutes les autorités officielles de la culture dans la région. J’ai été en rapport avec tous les bureaux. Et chaque fois, chaque fois, il m’a fallu me présenter comme un jeune homme, expliquer que j’étais écrivain, faire feu de tous mes maigres titres de notoriété (il n’y a guère que la villa Médicis qui semble établir aux yeux de ces gens que je ne suis pas quelque excité farfelu). « Pas un mot qui connaisse nos livres », comme disent mélancoliquement les Goncourt, après une rencontre avec des cousins à eux ; mais les cousins devaient connaître leur nom, au moins, tandis que moi c’est éternellement « Camus C.A.M.U.S ? », voire « C.A.M.U ? », ou bien « comme l’écrivain ? ». Si j’écrivais mon autobiographie (mais je ne fais que ça, évidemment), je pourrais l’intituler Comme l’écrivain.

Renaud Camus, « samedi 27 février 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 60.

David Farreny, 1er août 2002
épaisseur

Il est des moments où la vacuité éprouvée à se sentir vivre atteint l’épaisseur de quelque chose de positif. Chez les grands hommes d’action, c’est-à-dire chez les saints — car ils agissent avec leur émotion tout entière, et non pas avec une partie seulement —, ce sentiment intime que la vie n’est rien conduit à l’infini. Ils se parent de guirlandes de nuit et d’astres, oints de silence et de solitude. Chez les grands hommes d’inaction, au nombre desquels je me compte humblement, le même sentiment conduit à l’infinitésimal ; on tire sur les sensations comme sur des élastiques, pour voir les pores de leur feinte et molle continuité.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 151.

David Farreny, 9 fév. 2003
crée

Je vous recommande aussi ma méthode d’insistance au moyen de la répétition : en répétant systématiquement certains mots, certains tours, certaines situations, certaines parties, je les renforce tout en augmentant jusqu’aux frontières de la manie l’impression d’unité de style. C’est par la répétition, par la répétition qu’on crée le plus facilement n’importe quelle mythologie !

Witold Gombrowicz, Ferdydurke, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 13 mai 2007
couches

j’ai beaucoup été couchée,

dans des couches de jour et de sommeil différents.

Sabine Macher, Un temps à se jeter, Maeght, p. 38.

David Farreny, 3 mars 2008
élytres

Je me suis mis au travail, une flaque de sueur sous chaque coude, en sachant bien que je trichais, que j’avais peur, que je m’attachais au mât comme UIysse. Il s’agit d’autre chose ici. La nuit regorgeait de lenteur d’un silence interrompu seulement par le bref galop des chèvres qui tondent les bastions, ou le bourdonnement de je ne sais quelle beste dans ma toiture. Pour me donner du cœur et garnir un peu mon carquois, j’ai fait le compte des chambres où je suis passé depuis mon départ. C’est la cent dix-septième. La prochaine risque d’attendre longtemps son tour. Il faut bien s’arrêter de temps en temps pour apprendre à faire sa musique, faire un peu chanter ses élytres, non ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 33.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
mousse

Dans les montagnes du Centre, ces gros hôtels aux façades austères, leurs portes discrètement haussées d’insignes de clubs, derrière lesquelles on trouve une poignée de voyageurs de commerce groupés là dans la fumée des gauloises comme des cloportes sous une même mousse.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 65.

Cécile Carret, 18 juin 2012
rayonnement

Mais ce dont je me souviens, plus que de la forme du bâtiment ou de l’atmosphère des salles et des couloirs, c’est de l’impression que j’eus en arrivant, ce jour d’hiver, sur la grande terrasse formant belvédère et donnant sur le paysage de collines assez élevées des monts du Lyonnais. Alors que je me serais plutôt attendu à l’enchaînement de visions un peu sinistres que ce genre de maisons de repos manque rarement de provoquer – vieil homme avançant péniblement derrière son déambulateur dans un couloir beige orné de plantes vertes et d’affiches reproduisant des tableaux impressionnistes, groupe de vieilles femmes en robe de chambre s’efforçant de boire une tisane ou un thé au goût de carton dans un réfectoire où un sapin de Noël décoré que personne ne regarde clignote sans fin –, je me retrouvais dans une sorte d’apothéose hivernale : non ces jours où une lumière d’or accentue les reliefs en les creusant, accordant à toute chose d’avoir l’air de séjourner – un instant – hors du temps, mais un de ceux, et ils sont moins nombreux encore, où le concours du brouillard et du soleil aboutit à une sorte d’émulsion qui est comme un milieu de lumière vaporisé où tout semble flotter et être en gloire, la visibilité, à laquelle pourtant en règle générale on tient, étant remplacée par l’affirmation sereine, enthousiaste, juvénile et sans âge, d’un pur rayonnement.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
idée

C’est bien la première fois qu’en rêve je copule avec un homme ; très désagréable, d’autant que celui-ci puait le tabac ; il avait une gueule virile, mal rasée, mais une poitrine naissante de jeune fille à laquelle je tentais vainement de me raccrocher, — j’avais du mal à tenir une érection dans ces conditions. Tout cela donne une idée du chaos psychique dans lequel on nage.

Jean-Pierre Georges, « Jamais mieux (3) », «  Théodore Balmoral  » n° 71, printemps-été 2013, p. 118.

David Farreny, 3 mars 2015
impossibilité

Jules Boissé est mort d’une péritonite en huit jours, comme par surprise. Je fus appelé bien tard, la veille ; mais il avait toute sa connaissance encore, avec toute son intelligence occupée de sa mort. Il n’était pas très triste de quitter la vie ; on le voyait à son ironie. Nous causâmes doucement cette nuit-là, une nuit de chambre d’hôtel navrante d’abandon et de détresse. Les bruits du boulevard montaient et nous envoyaient des chants d’étudiants en goguette, et cela le tirait de son repos, et il me disait en souriant : « Je ne les envie pas… »

Toute cette nuit-là, il me parut inquiet du mobile de ma présence auprès de lui ; quoiqu’il fût tendre, il ne voulut croire qu’à ma curiosité ! « Tu viens me voir mourir, me dit-il quand il me vit paraître, cela n’est guère intéressant. Tu vois, j’ai toute ma conscience analytique (ce sont ses propres termes) et je suis la marche de la décomposition ; j’en ai pour six heures encore, car les molécules inconscientes de mon être sont en travail. Ce hoquet, que tu entends, c’est malgré moi ; je ne souffre pas, grâce à des injections de morphine qu’on m’a faites, c’est comme un sommeil. Je meurs usé, peut-être d’une erreur, peut-être d’une impossibilité sociale. »

Odilon Redon, « août 1885 ou 1886 », À soi-même, José Corti, p. 89.

David Farreny, 23 fév. 2024
verse

Cet après-midi entamé Trézeaux d’Henri Thomas, des poèmes qui ne paient pas de mine, mais que j’envisage d’ores et déjà très bien :

Je songe, je tergiverse,

Je vois la to-ta-li-té,

Et puis je verse

D’un seul côté.

Philippe Louche, Psychogéographie indoor (103). 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

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