Si la littérature approche et rencontre parfois la vérité c’est qu’elle est un des chemins détournés du retour à la vie.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 33.
Le danger, avec nous autres hommes, c’est que, lorsque nous croyons analyser notre caractère, nous créons en réalité de toutes pièces un personnage de roman, auquel nous ne donnons pas même nos véritables inclinations. Nous lui choisissons pour nom le pronom singulier de la première personne, et nous croyons à son existence aussi fermement qu’à la nôtre propre. C’est ainsi que les prétendus romans de Richardson sont en réalité des confessions déguisées, tandis que les Confessions de Rousseau sont un roman déguisé. Les femmes, je crois, ne se dupent pas ainsi.
Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 93.
Entre les toits, les cheminées, à un kilomètre, environ, le faîte des collines coiffées, autrefois, de bosquets, aujourd’hui de pavillons. C’est à ce créneau que je guettais le retour de la belle saison, l’éveil des verdures, rêvais d’escapades. Dix-sept ans de ma vie, la seule, en vérité, dorment d’un sommeil de conte sous ces combles et c’était, cet après-midi, comme s’ils exigeaient de moi que je n’oublie pas qu’ils avaient été, que des questions se posaient en termes de vie ou de mort, déjà, auxquelles j’avais répondu comme je pouvais, tant mal que bien, avec les moyens du bord.
Pierre Bergounioux, « vendredi 31 décembre 1982 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 176.
La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.
Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.
Champion
de la
détestation
en tout genre
briseur de vie
dont
la mienne
réducteur
de tout ce
qui n’est pas
à ma taille
bulle
ne remontant
définitivement plus
à la
surface
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 37.
Dans cet amour, la dissonance est toujours repoussée, jamais résolue, sauvée comme disaient les traités. Une nouvelle couleur pour la tristesse, ce soir : très large, calme. Ce n’est plus la tristesse ordinaire d’après les séparations. À ce degré, c’est le regret de souffrances plus anciennes qui peuvent passer maintenant pour les crampes du bonheur.
Gérard Pesson, « dimanche 19 décembre 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 124.
La femme : « Aujourd’hui je suis allée en ville avec Stéphane. Il ne me comprend pas, les banques, les stations-service, les stations de métro, il trouve ça magnifique. »
L’éditeur : « Peut-être y a-t-il là-dedans une beauté nouvelle que nous ne pouvons simplement pas encore voir. »
Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 61.
Mais je sens que je t’ennuie. Et je ne mérite même pas ta pitié. Sois heureuse et laisse-moi mourir.
Et monsieur Songe en relisant cette lettre est au bord du désespoir.
Il ajoute pourtant en post-scriptum il faudrait un coup de théâtre mais je me demande s’il en existe ailleurs que dans les mots.
Remarque d’une profondeur telle qu’elle effraie monsieur Songe et qu’il pense la biffer.
Mais il ne la biffe pas, elle sera faite pour toujours.
Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 61.
In place of food, my senses existentially turn to old high walls of red brick, and I lie awake at night weighing the fascination. There will never be an end or a conclusion to this dazed attraction, and even now, decades on, I cannot find any written acknowledgement of the trance such things pull me into. Whatever detains the eye is understood by no one, least of all me.
Morrissey, Autobiography, Penguin, pp. 53-54.
Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.
Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗