gras

Allez la bagnole est en raque. On lui ouvre le ventre

et toute la famille est plongée en contemplation

devant le mystère gras et noir des organes en panne

William Cliff, Marcher au charbon, Gallimard, p. 69.

David Farreny, 21 mars 2002
Möbius

En tout cela, les êtres de notre temps ne font que voyager sur une interminable bande de Möbius libertaire-répressive, dépourvue d’envers et d’endroit, et dont ils ne voient pas qu’ils arpentent la totalité tortueuse sans jamais changer de face.

Philippe Muray, Après l’histoire, Les Belles Lettres, p. 509.

David Farreny, 22 mars 2002
infime

On sent bien, à l’hystérie du public, lorsqu’un crime particulièrement épouvantable a été perpétré, qu’un enfant a été violé et assassiné, par exemple, ou bien, en sens inverse, à son indulgence, voire à son approbation, lorsqu’un propriétaire a tué un cambrioleur, on sent bien, alors, que la civilisation n’est qu’une lamelle d’une infime épaisseur, et que si quelques obstinés n’étaient pas là pour la protéger, les réactions naturelles de la majorité auraient tôt fait de la briser.

Renaud Camus, Buena Vista Park, Hachette/P.O.L., p. 88.

David Farreny, 14 avr. 2002
autres

On dit que la jeunesse est l’âge de l’espoir, justement parce que, quand on est jeune, on espère confusément quelque chose des autres comme de soi-même — on ne sait pas encore que les autres sont précisément les autres.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 168.

David Farreny, 24 mai 2003
vertu

Au retour, nous retrouvions notre baraque chauffée à blanc par le soleil de la journée. En poussant la porte, nous retouchions terre. Le silence, l’espace, peu d’objets et qui nous tenaient tous à cœur. La vertu d’un voyage, c’est de purger la vie avant de la garnir.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 30.

Cécile Carret, 30 août 2007
courage

Pour exprimer la vie, il ne faut pas seulement renoncer à beaucoup de choses, mais avoir le courage de taire ce renoncement.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 228.

David Farreny, 3 mars 2008
locataire

Un père m’eût lesté de quelques obstinations durables ; faisant de ses humeurs mes principes, de son ignorance mon savoir, de ses rancœurs mon orgueil, de ses manies ma loi, il m’eût habité ; ce respectable locataire m’eût donné du respect pour moi-même. Sur le respect j’eusse fondé mon droit de vivre. Mon géniteur eût décidé de mon avenir : polytechnicien de naissance, j’eusse été rassuré pour toujours. Mais si jamais Jean-Baptiste Sartre avait connu ma destination, il en avait emporté le secret ; ma mère se rappelait seulement qu’il avait dit : « Mon fils n’entrera pas dans la Marine. » Faute de renseignements plus précis, personne, à commencer par moi, ne savait ce que j’étais venu foutre sur terre.

Jean-Paul Sartre, Les mots, Gallimard, p. 75.

David Farreny, 31 déc. 2008
possibilité

Il n’y a pas plus de droit à l’amour que de droit au bonheur. À peine a-t-on un droit à la recherche ou à l’attente de l’amour. Parce que l’amour n’est pas une conséquence inévitable de notre nature, seulement une possibilité, on peut concevoir des vies sans amour ou destituées de l’amour. On rencontre de telles vies, de tels personnages, dont le maintien et le débit de parole suggèrent que l’amour n’est pas venu leur donner la grâce des gestes et de la pensée. On peut devenir tel ou le rester. On dirait qu’une partie de leur corps et de leur âme est restée brute, ne connaissant des relations entre humains, par lesquelles les comportements se polissent et s’adoucissent, que l’affrontement, l’agression, ou le maintien à distance.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 18.

Cécile Carret, 13 mars 2011
beauté

(Qu’est-ce que ce besoin que nous avons de beauté ? Un caractère acquis, un réflexe conditionné, une convention linguistique ? Et la beauté physique, en soi, qu’est-ce ? Un signe, un privilège, un don irrationnel du sort, comme – ici – la laideur, la difformité, la déficience ? Ou bien un modèle sans cesse changeant que nous forgeons, plus historique que naturel, une projection de nos valeurs et notre culture ?)

Italo Calvino, La journée d’un scrutateur, Seuil, p. 33.

Cécile Carret, 8 janv. 2012
angoisse

Les crises d’angoisse deviennent plus profondes. Les crises d’angoisse deviennent plus graves. Les crises d’angoisse deviennent plus absolues. C’est longer des murs. C’est se heurter à un trou. C’est dériver sans comprendre dans la nuit de la ville et la nuit qu’à soi-même on est. Tout vaudrait mieux que reprendre. Tout vaudrait mieux que continuer. Tout vaudrait mieux qu’affronter. Les crises d’angoisse deviennent permanentes. On les tient vaguement à distance, comme du bras quelqu’un qui vous sollicite, comme d’un détournement quelqu’un qui mendie, comme la porte fermée à quelqu’un qui veut absolument tout vous dire et vous expliquer, pourvu que cela le concerne lui et seulement lui. Les crises d’angoisse sont solitaires. Les crises d’angoisse sont secrètes. Les crises d’angoisse sont tournantes : sur soi-même on tourne, en soi-même on tourne. Les crises d’angoisse sont la boule du dedans devenue la boule complète du tout : et tournent sur les parois le décor des villes, et le souvenir des appartements, et le gros plan déformé des visages, et la rémanence des voix. Et tournent sur les parois du dedans la découpe des toits, la perspective des rues : on est, au milieu de tout cela, immobile et crispée, cette silhouette effrayée, accroupie sur elle-même et serrant ses genoux et son front dans ses bras, prête à l’immense chute : on le pense avec sérieux, considération, opiniâtreté, qu’arrêter est la seule solution maintenant irréversiblement à vous laissée. On voudrait, du fond de la crise d’angoisse, n’être pas ce vous. On a compris que si la crise d’angoisse s’allégeait avant qu’on soit définitivement ce vous, on aura une chance d’attendre ici la suivante, même plus forte, même plus terrible. On a juste appris, dans ses os, ses genoux, son front, qu’il ne s’agit que d’une possibilité d’ordre statistique : on trouve même en cela part discrète de résistance, consolation, abandon. La crise d’angoisse est votre définition.

François Bon, « Angst », Formes d'une guerre.

David Farreny, 19 fév. 2013
ceinturées

Il se peut aussi que sur une promenade au mois de mai, quand le matin est beau, à la Florida ou sur le Prado elles aient aperçu en passant la courtaude silhouette embossée dans sa cape, hivernale parmi des glaïeuls, renfrognée, de l’ombre des chênes verts regardant sombrement ceux qui en plein soleil roulent voiture, portent l’habit à la française, ont les femmes les plus joliment ceinturées, les plus riantes, les mieux nommées, et quand en grand équipage arrivait don Rafaël Mengs ou le Signor Giambattista Tiepolo, elles l’ont vu faire en catastrophe deux pas, sortir de l’ombre et dans la lumière apparaître comme un oiseau de nuit surpris, lever haut le sombrero et le porter vite au giron pour la courbette, l’œil révérant porté là-haut sur l’invisible auréole du Maître trouant le grand plafond du ciel madrilène, et tout son visage tremblant dédiait à cette apparition un sourire extatique, paniqué, peut-être misérable. Et le maître saluait ce gros jeune homme qui voulait bien faire.

Pierre Michon, « Dieu ne finit pas », Maîtres et serviteurs, Verdier, pp. 13-14.

David Farreny, 26 fév. 2014
datées

Soutenir la thèse que toutes les valeurs de la gauche n’apparaissent encore vivantes qu’en tant qu’elles ne sont pas datées, que leur âge — dix-neuvième — n’est pas révélé. S’il l’est, alors brusquement la pensée de gauche apparaît comme ce qu’elle est, c’est-à-dire conservatrice.

Philippe Muray, « 26 juillet 1982 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 189.

David Farreny, 2 mars 2015

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