Je suis pourtant assez aimable, il me semble, quand on me rencontre, et poli. Toutefois, dès que se profile la menace d’un système d’invitations régulières et réciproques, un affolement me saisit, je ne pense plus qu’à trouver des échappatoires, et j’en trouve, ne serait-ce que dans la force d’inertie.
L’amour, oui. Le flirt, le désir, le plaisir. L’amitié, très étroite, mais très rare. Quant aux relations sociales, c’est-à-dire les amis, au sens où la plupart des gens semblent entendre ce mot, ça n’a pas d’existence pour moi.
Renaud Camus, « samedi 3 avril 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 83.
Pourquoi on devrait être mieux en communiquant avec un autre qu’en étant seul, est étrange. C’est peut-être seulement une illusion : la plupart du temps, on est très bien seul. Il est agréable de temps en temps d’avoir une outre où se déverser et où boire soi-même : étant donné que nous demandons aux autres ce que nous avons déjà en nous. Pourquoi il ne nous suffit pas de regarder et de boire en nous-mêmes, et pourquoi il nous faut nous ravoir dans les autres ? Mystère.
Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 186.
La simple présence proche suffit amplement.
Étant gravement atteint de crise d’étouffement, j’en louai moi-même une sur les indications de mon conseiller. Son épaule et la naissance de sa poitrine exquise, voilà la zone touchée qui me fit le plus grand bien, et le plus prompt.
Cette fille simple et d’un charme qui allait loin ne fit durant le traitement que lacer et délacer une jambière, mais très modestement.
Elle me regardait de temps à autre, puis sa jambe, ne disant rien, et ses sentiments me demeurèrent inconnus.
Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 95.
Je suis né étranger au monde et j’ai regardé, impuissant, le film de ma vie. Tombereaux d’ennui ou richesses miroitantes ?… Je ne sais toujours pas ce qui m’échut. Une seule certitude : j’ai violemment haï le travail.
Par instinct — ou par bêtise — je n’ai rien « construit ». Par facilité et paresse j’ai tout fonctionnarisé, mensualisé : santé, confort, amour, amitié, écriture. J’étais un timide, je suis devenu un tiède. Je ne sais plus ce que c’est de souffrir.
Cela en mon pouvoir je jetterais mon sexe au premier chien qui passe. Car plus qu’une complication, c’est une plaie cette guérilla avec le ventre. Installé dans la pérennité de l’attente vaine, je forme un vœu sin-cè-re : je voudrais que ma femme soit heureuse.
Jean-Pierre Georges, « Sin-cè-re », Trois peupliers d’Italie, Tarabuste, p. 46.
Et même la façon du serveur lui aussi pour le soleil de se tenir en avant de la porte, qu’on s’est dit au revoir quand probablement on ne se reverra pas. Rien d’effrayant, rien.
Ce qui menace vraiment reste invisible. On cherche les signes de la ruine : rien d’autre que nous-même, qui traversons.
François Bon, « Dimanche après-midi, un instant », Tumulte, Fayard, p. 182.
Un dilemme dilate le temps. C’est une torture qui prend le temps de désenfouir de la conscience et d’examiner des arguments contradictoires, et de revenir sur les uns et les autres pour les renforcer.
Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, p. 16.
Nous sommes pris, coincés entre deux abîmes : finir et ne pas finir.
Paul Morand, « 10 juillet 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 413.
Le jardin s’agite, mais pas l’œil.
Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 50.
Tolérer jusqu’aux idées stupides peut être une vertu sociale ; mais une vertu qui tôt ou tard reçoit son châtiment.