Le plus dur est toujours la peine qu’on cause. Il faut la voir aussi, hélas, comme le chantage le plus cruel, et se souvenir qu’elle n’a d’autre origine que l’erreur ou le préjugé. La vérité c’est qu’il est vain, dans quelque situation qu’on soit, d’espérer faire l’économie d’un moment de courage.
Renaud Camus, « mercredi 21 mai 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 266.
Pour avoir un peu lapidé les gendarmes, trois dames pieuses d’Hérissart sont mises à l’amende par les juges de Doullens. (Dép. part.)
Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé : Jules Ménard, ramasseur d’escargots.
Au Mans, le soldat Hervé Aurèle, du 117e, a frénétiquement rossé passants et agents. On l’a capturé à grand’peine. (Dép. part.)
Le chanteur Luigi Ognibene a blessé de deux balles, à Caen, Madelon Deveaux, qui ne voulait pas laisser monopoliser sa beauté. (Dép. part.)
Dans le lac d’Annecy, trois jeunes gens nageaient. L’un, Janinetti, disparut. Plongeons des autres. Ils le ramenèrent, mais mort. (Dép. part.)
Des trains ont tué Cosson, à l’Étang-la-Ville ; Gaudon, près de Coulommiers, et l’employé des hypothèques Molle, à Compiègne.
Une dame de Nogent-sur-Seine disparut (1905) en pyrénéant. On la retrouve, dans un ravin, près Luchon, bague au doigt. (Dép. part.)
Ribas marchait à reculons devant le rouleau qui cylindrait une route du Gard. Le rouleau pressa le pied et écrasa l’homme. (Havas.)
Trente-cinq canonniers brestois, qui sous empire de funestes charcuteries, fluaient de toutes parts, ont été drogués hier. (Dép. part.)
Une fois assommé, Bonnafoux, de Jonquières (Vaucluse), a été posé sur un rail, où un train l’écrasa. (Dép. part.)
Pour un parquet belge, on arrête à Vagney (Vosges) Félicie De Doncker, qui excella à mater la fécondité des Brabançonnes. (Dép. part.)
Un bœuf furieux traînait par la longe vers Poissy le cow-boy Bouyoux. Elle cassa. Alors ce bœuf démonta le cycliste Gervet.
Mme S…, de Jaulnay (Vienne), accuse son père de lui avoir détérioré ses trois filles. Le vieillard s’indigne. (Havas.)
Rue Myrrha, le fumiste Guinet tirait au petit bonheur des balles sur les passants. Un inconnu lui planta un stylet dans le dos.
Près de Villebon, Fromond, qui disait à d’autres pauvres sa détresse, s’engouffra soudain dans un four à plâtre en combustion.
Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes (2), Mercure de France, pp. 16-87.
Je tiens la réalisation de mon vœu, plutôt décevante, comme il était à prévoir : ne souhaiter rien exprimer, souhaiter ne rien exprimer. Le lac de Caresse est une insomnie, le voir ne m’en avait nullement averti. Précisément nous ne l’avions pas vue, sinon ce peu profond étang dont le brouillard volait les bords à nu, les sèches entrailles pierreuses, ou notre insuffisant désir.
Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., p. 47.
Ils se grattèrent le front à la naissance des cheveux au même moment mais sans concertation ; un soudain et commun besoin de montrer qu’ils réfléchissaient. La concomitance du geste suggérait un acte chorégraphique qui sapa l’idée même d’une réflexion, fit d’eux des singes devant une conque.
Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.
Le temps qui t’est imparti est si court que, dès que tu as perdu une seconde, tu as déjà perdu ta vie entière ; car elle n’est pas plus longue que cela ; elle est toujours exactement aussi longue que le temps que tu perds.
Franz Kafka, « Défenseurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 645.
Je couvre, à grand-peine, trois pages. Il me semble me mouvoir dans le vide, fouler un sol aride, ébouleux pour atteindre quelque chose qui se trouve — ou ne se trouve pas — à une distance indéterminée qu’il faut franchir pour que la rencontre ait lieu — ou non.
Pierre Bergounioux, « dimanche 7 novembre 2004 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 528.
L’éducation est une chose admirable, mais il convient de se rappeler de temps à autre que rien de ce qui vaut d’être connu ne peut s’enseigner.
Oscar Wilde, « Quelques maximes pour l’instruction des personnes trop instruites », La vérité des masques, Rivages.
Aime ton prochain comme toi-même : c’est-à-dire avec une certaine honte.
José Camón Aznar, Aphorismes du solitaire.
Il est incontestable qu’à passer sans cesse, comme je le fais en ce moment, de Proust, ou Baudelaire, ou Hugo, ou Balzac, à ce qu’on appelle encore le texte moderne, celui des autres ou celui que j’écris, c’est l’insoutenable laideur, la balourdise, l’opacité du second qui apparaît par comparaison. Ce genre de textes ne me paraît plus véhiculer aucune vérité. C’est même l’amputation de toute vérité dont il est l’incarnation. Les mots y sont castrés de toute violence et de toute pensée. Pire encore : sont devenus incapables de penser cette castration qui est aussi celle de l’époque. Ils resteront comme des traces innommables du chaos, des graffitis de chiottes, des signes pour sociologues du futur, rien de plus.
Philippe Muray, « 1er octobre 1980 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 94.
Le temps favorise à la longue les nations enchaînées qui, amassant des forces et des illusions, vivent dans le futur, dans l’espoir ; mais qu’espérer encore dans la liberté ? ou dans le régime qui l’incarne, fait de dissipation, de quiétude et de ramollissement ? Merveille qui n’a rien à offrir, la démocratie est tout ensemble le paradis et le tombeau d’un peuple. La vie n’a de sens que par elle ; mais elle manque de vie… Bonheur immédiat, désastre imminent — inconsistance d’un régime auquel on n’adhère pas sans s’enferrer dans un dilemme torturant.
Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, p. 451.