porte

Ce fut une épopée de géants. Nous la vécûmes en fourmis. Nous triomphâmes ainsi. Succès par la porte basse.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 190.

David Farreny, 14 avr. 2002
rompre

À un certain degré de détachement ou de clairvoyance, l’histoire n’a plus cours, l’homme même cesse de compter : rompre avec les apparences, c’est vaincre l’action et les illusions qui en découlent. Quand on s’appesantit sur la misère essentielle des êtres, on ne s’arrête pas à celle qui résulte des inégalités sociales, ni on ne s’efforce d’y remédier.

Emil Cioran, Essai sur la pensée réactionnaire, Fata Morgana, p. 34.

Guillaume Colnot, 11 juin 2004
limites

Se demander devant un autre : par quelle voie apaise-t-il en lui le désir d’être tout ? sacrifice, conformisme, tricherie, poésie, morale, snobisme, héroïsme, religion, révolte, vanité, argent ? ou plusieurs voies ensembles ? ou toutes ensembles ? Un clin d’œil où brille une malice, un sourire mélancolique, une grimace de fatigue décèlent la souffrance dissimulée que nous donne l’étonnement de n’être pas tout, d’avoir même de courtes limites. Une souffrance si peu avouable mène à l’hypocrisie intérieure, à des exigences lointaines, solennelles (telle la morale de Kant).

À l’encontre. Ne plus se vouloir tout est tout mettre en cause. N’importe qui, sournoisement, voulant éviter de souffrir se confond avec le tout de l’univers, juge de chaque chose comme s’il l’était, de la même façon qu’il imagine, au fond, ne jamais mourir. Ces illusions nuageuses, nous les recevons avec la vie comme un narcotique nécessaire à la supporter. Mais qu’en est-il de nous quand, désintoxiqués, nous apprenons ce que nous sommes ? perdus entre les bavards, dans une nuit où nous ne pouvons que haïr l’apparence de lumière qui vient des bavardages. La souffrance s’avouant du désintoxiqué est l’objet de ce livre.

Georges Bataille, L’expérience intérieure, Gallimard, p. 10.

Guillaume Colnot, 16 janv. 2005
restaurer

La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut de temps en temps la déposer, reprendre un peu haleine, et comme se restaurer d’un léger avant-goût de la mort.

Giacomo Leopardi, « Cantique du coq sauvage », Petites œuvres morales, Allia, p. 177.

David Farreny, 9 nov. 2005
cages

Violemment agitées les cages, mais toujours des cages.

Henri Michaux, « Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1182.

David Farreny, 7 août 2006
matelassée

Je sens très fort sa fierté d’être entouré d’objets qui lui doivent leur existence, qu’il a directement ou indirectement produits par la force de ses bras ; et aussi son sentiment de sécurité vis-à-vis des coups durs : il s’en tirera toujours, parce qu’il peut faire n’importe quoi ; son sentiment de vivre dans une nature hostile et catastrophique qu’il faut et qu’il sait dompter, et son mépris des freluquets secrétaires qui ne peuvent vivre qu’au sommet d’une société matelassée et en ordre.

Jean-Paul Sartre, « jeudi 28 mars 1940 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, pp. 617-618.

David Farreny, 27 déc. 2006
calcanéum

Si le soleil est aussi grand et tel que nous le voyons, il le doit à sa nature intime ; mais cette place qu’il occupe dans le monde, c’est l’œuvre de l’Ordonnateur. Pour un corps de telle nature et si vaste, vous ne trouverez pas une place meilleure dans tout l’univers. Pour le pied non plus vous ne pouvez trouver dans le corps une place préférable à celle qu’il occupe. La position du pied et du soleil dénote une égale habileté. Ce n’est pas sans dessein que je compare l’astre le plus brillant à la partie du corps la plus abjecte. Qu’y a-t-il de plus vil que le calcanéum ? Rien. Cependant nulle part ailleurs il ne serait mieux placé. Qu’y a-t-il de plus noble que le soleil ? Rien. Dans tout l’univers il ne saurait être placé plus convenablement. L’univers est ce qu’il y a de plus grand et de plus beau.

Galien, « De l’utilité des parties du corps humain », Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales (1), Baillière, p. 263.

David Farreny, 29 juil. 2008
fête

De Neptune voici la fête ;

Célébrons-la, chère Lydé :

Venez sabler en tête à tête

Le meilleur vin que vous ayez gardé.

Humanisez un peu votre sagesse austère.

Vous voyez le soleil au haut de sa carrière,

Et, comme s’il devait y retenir son char,

Vous différez encor de tirer le nectar

Qu’au fond de vos celliers renferma votre père.

Nous chanterons le Dieu de l’onde amère,

La Néréïde et ses cheveux

Que couvre une mousse légère ;

Votre luth d’Apollon célèbrera la mère,

Et Diane aux traits dangereux.

Puis nous invoquerons la reine de Cythère,

Que traîne le cygne amoureux ;

Et la nuit propice au mystère,

La nuit sombre, à son tour aura part à nos vœux.

Horace, « À Lydé », Œuvres complètes (1), Janet et Cotelle, p. 227.

David Farreny, 20 déc. 2009
mer

Cependant le médecin-major, quand ils sortirent du tunnel dans un virage, tendit son index bagué de cornaline dans la lumière du soleil, et dit : « La voilà. »

Où ça ? Elle était là, en dessous de lui, devant lui, elle était vraiment là, c’était la mer, la mer elle-même, calme et bleue, telle qu’il l’avait vue sur la carte murale de l’école primaire. Seulement un petit coin de mer, le golfe de Fiume, un petit pan du Quartnéro. La bouche ouverte, il la fixait. Mais il ne put même pas jouir de son émerveillement, elle avait déjà disparu. La mer jouait à cache-cache avec lui.

C’est plus tard qu’elle se déploya devant lui, longtemps après, dans sa paisible majesté.

Il ne l’avait pas rêvée plus belle ni plus vaste. Elle l’était bien d’avantage qu’il ne l’avait imaginé jadis. Un bleu lisse, infini, dessus les barques, coquilles de noix ébréchées et voiles blanches, oranges, noires, basculant de biais comme des ailes de papillon exténués venus se poser sur le miroir de l’eau pour y boire. Il n’entendait pas le murmure des vagues. Il ne les voyait pas retomber. Les bateaux eux-mêmes ne bougeaient pas plus vite que ses propres jouets d’autrefois, que sa main d’enfant tirait en tous sens dans une cuvette. Pourtant elle était solennelle, elle était gigantesque, dans son unique, son antique auréole de millénaires.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 68.

Cécile Carret, 26 août 2012
espoir

Pour revenir aux parties de cache-cache, elles aiment à la folie ce jeu qui apprend à se séparer et à garder espoir alors même qu’on patiente dans la solitude et l’obscurité, comme disait Freud. Et comme il est ardu de conserver cet espoir lorsque c’est Manon qui cherche et qu’elle n’est pas douée pour trouver.

Emmanuelle Pyreire, Foire internationale, Les Petits Matins, p. 39.

Cécile Carret, 13 avr. 2013
fais

— Tu travailles ?

— Tu le vois bien.

— Je vois que tu ne fais rien.

— Tu ne peux pas comprendre.

Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 168.

Cécile Carret, 22 juin 2013
concentré

Oui, c’était avec cette lenteur, cette réflexion, ce silence, en ne se laissant troubler par aucune société, totalement concentré sur moi seul, sans conseils, sans louanges, sans attente, sans revendication, sans arrière-pensée aucune que je voulais plus tard exercer mon travail. Quel qu’il fût, il devait correspondre à l’activité que j’avais ici sous les yeux et qui si manifestement ennoblissait celui qui l’exécutait en même temps que son témoin de hasard.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 45.

Cécile Carret, 4 août 2013

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