commotion

Aux pires moments, en septembre, il me semble que j’avais songé à aider le destin. Le maniement de la cognée facilitait l’examen de certaines pensées. Elles n’avaient pas un contour trop net. L’effort, la sourde commotion qui se communique au fer et à tout le corps empêche qu’on voit trop précisément ce qu’on imagine, la forêt confuse du plateau, les routes désertes, les rencontres mauvaises.

Pierre Bergounioux, Ce pas et le suivant, Gallimard, p. 88.

Guillaume Colnot, 25 avr. 2003
réglable

C’est à croire que nous ne pénétrerons jamais jusqu’au cœur du mystère, que les forces occultes nous déroberont jusqu’au bout l’ultime secret. De grands pans de notre sens se dressent inaccessibles, demeurent enténébrés.

Il m’arrive de me transporter, en pensée, sur le lit en métal chromé, réglable, de l’agonie, à partir duquel on envisagera une dernière fois ce qui s’est passé.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 183.

David Farreny, 6 août 2003
abouliques

Sans volonté, nul conflit : point de tragédie avec des abouliques. Cependant la carence de la volonté peut être ressentie plus douloureusement qu’une destinée tragique.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1721.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
néant

Quant à la métaphore du jugement de Salomon, elle se résume à peu près à ce choix : ou bien quelque chose, ou quelqu’un, une valeur, un privilège, un bonheur, un jardin, survivent et perdurent dans l’être, mais c’est au profit d’une seule personne ou d’une seule classe, d’une partie seulement d’une société donnée, d’un nombre délimité de personnes (c’est le choix que fait la vraie mère, même si cette solution-là implique qu’elle va perdre l’enfant) ; ou bien ce quelque chose, ou ce quelqu’un, cet enfant, ce privilège, ce bonheur, cette valeur, ce parc, vont faire l’objet d’une répartition générale, entre toutes les parties présentes, tous les membres d’une société donnée — et cela, même si cette répartition générale implique que l’enfant soit tué, la valeur pervertie, le privilège aboli, le bonheur réduit à néant (du moins personne n’en jouira-t-il : c’est le choix de la fausse mère et, à mon avis, de toute la modernité).

Renaud Camus, « vendredi 9 mai 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 224.

David Farreny, 30 avr. 2006
exode

Est-ce possible qu’il n’y ait rien à ce point, et que ce soit si lourd… Je suis découragé. J’ai un cerveau d’après exode lexical, y rencontrer ne serait-ce qu’une virgule tiendrait du miracle. Aucun mot ne se présente à mon esprit. Je prends sur l’étagère un livre que j’ai écrit, le feuillette et reste incrédule devant certaines petites proses pas si mal troussées. Je n’en reviens pas. Je dois renoncer définitivement à l’écriture. Je suis donc libre. Mais n’ayant malheureusement rien prévu de tel pour ma vie.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 89.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
hébète

Mardi – […] Quelle fenêtre possède encore la grâce ? Qui peut lutter contre un jardin ? Mon œil est sec et mon oreille pleine à ras bord de marteaux-piqueurs, de couinements. Le corps gêne dans le métro, trop de coudes et d’orteils.

Mercredi – Gris souris de rentrée, pluie de septembre en juillet et la promesse d’une impasse pavée à Jaurès. Une fenêtre à trois carreaux cassés, deux autres sales. Le vide hébète.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 22.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
égal

Marc avait aussi un fils, qui vivait loin de lui. Trop loin. Il ne souhaitait pas en parler. Il préférait reparler de la femme du métro. Ça l’intéressait de s’intéresser à elle. Ça l’occupait. Moi aussi, dis-je. Marie m’occupe. Je vous trouve vieux, tous les deux, intervint Kontcharski. Vous ne vivez pas assez. Et vous ? dis-je. Qu’est-ce que vous vivez de plus, Cyril ? Je ne voulais pas l’agresser, mais je voulais défendre Marc. Moi, ça m’était égal, je ne prétendais pas vivre, je trouve que c’est une ambition stupide. On vit de toute façon et en fin de compte quelque chose s’est passé. Ou a passé. Bref.

Christian Oster, Trois hommes seuls, Minuit, p. 53.

Cécile Carret, 14 sept. 2008
impatiences

Je sens me reprendre les impatiences cuisantes, la fureur sombre, et qu’il fallait contenir, de surcroît, que m’ont inspirées, d’emblée, tant de proches dont je jugeais déjà les pensées aberrantes, les agissements dérisoires, inutiles, les sentiments infantiles, quand ils ne contrevenaient pas à l’évidence lumineuse de la loi morale.

Pierre Bergounioux, « dimanche 17 juillet 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 708.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
favorable

Le bonheur d’une expression vaut tout autant qu’une pensée heureuse, puisqu’il est presque impossible de se bien exprimer sans mettre en favorable lumière ce qu’on exprime.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 270.

David Farreny, 13 janv. 2015

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