nombre

Le petit nombre doit l’emporter subversivement sur la subversion elle-même et sur tous ses dispositifs de misère, de honte et d’inutilité.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 56.

David Farreny, 1er janv. 2006
son

Si j’avais utilisé l’inceste pour montrer une voie possible conduisant au bonheur ou à l’infortune, j’aurais agi en didacticien à succès débiteur d’idées générales. En réalité, je me moque absolument de l’inceste sous quelque forme que ce soit. J’aime absolument le son « bl » dans « sibling », « bloom », « blue », « bliss », « sable ».

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 141.

David Farreny, 12 mars 2008
rassurant

Le réveil qui sonne le matin renvoie à la possibilité d’aller à mon travail qui est ma possibilité. Mais saisir l’appel du réveil comme appel, c’est se lever. L’acte même de se lever est donc rassurant, car il élude la question : « Est-ce que le travail est ma possibilité ? » et par conséquent il ne me met pas en mesure de saisir la possibilité du quiétisme, du refus de travail et finalement du refus du monde et de la mort.

Jean-Paul Sartre, « L’origine du néant », L’être et le néant, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 11 oct. 2008
dilate

Un dilemme dilate le temps. C’est une torture qui prend le temps de désenfouir de la conscience et d’examiner des arguments contradictoires, et de revenir sur les uns et les autres pour les renforcer.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, p. 16.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2009
rapport

Jules Renard et Fernando Pessoa sont morts à l’âge que j’ai aujourd’hui. Vous ne voyez pas le rapport.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 54.

David Farreny, 17 juin 2009
énigme

Je reprends une phrase de ta dernière lettre : il y a une grande énigme dans la nature. La vie dans l’abstrait est déjà une énigme ; la réalité en fait une énigme au cœur d’une autre énigme. Qui sommes-nous pour prétendre la résoudre ?

Vincent van Gogh, « La Haye, 1882 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, p. 240.

David Farreny, 21 juin 2009
ressorts

San Michele. Étrange effet que de marcher sur ce sol fait presque tout entier de dalles funéraires. Ces plaques de marbre, pressées les unes contre les autres comme les pierres taillées d’un édifice, rappellent l’origine du mot « monument », le mémorial, le memini de l’esprit qui se souvient. L’exemple premier, le plus simple, le plus évident, est la pierre tombale. C’est sur les tombeaux des morts que se sont bâties les cultures.

Le vertige est ici d’autant plus fort que ces plaques sont des calcaires à gryphée, très dures, à peine entamées par les millions de pas qui se sont succédé à leur surface depuis des siècles, et l’on y distingue des fossiles, enroulés sur eux-mêmes comme de gros ressorts, qui renvoient à la machinerie inimaginable du Temps.

Jean Clair, « La première pierre », Journal atrabilaire, Gallimard, p. 171.

David Farreny, 21 mars 2011
numérique

Le numérique est la fin de la pensée ondulante. Le numérique est la pensée remplacée par le stockage de mémoire, la dictature de la quantité et de l’absence de choix. Au Moyen Âge les scolastiques construisaient des Théâtres, des Palais de la mémoire, architectures imaginaires pour loger leurs souvenirs, tels des gratte-ciel au fond de l’hippocampe, des Manhattans dans chaque cellule. Tout cela est fini, il n’y a plus la volonté, il n’y a plus que les serveurs, les machines à stocker. Peu importe. J’aurai bientôt tout oublié.

François Beaune, Un ange noir, Verticales, p. 145.

David Farreny, 23 août 2011
rêve

Je comptais bien découvrir les lignes principales du relief, des variations plus discrètes que j’avais relevées sans comprendre, sans savoir à quels événements lointains, quels épisodes transgressifs ou diluviens, vieux de deux cent cinquante millions d’années, elles tenaient. Mais je n’espérais pas trouver, sur le papier, certains détails étroitement circonscrits, très incertains, rêvés, peut-être. Un exemple. Entre une étroite passerelle en béton qui surplombait la digue et le pont Cardinal (une allusion oblique à Dubois), trois cents mètres en aval, j’avais observé, sous l’eau, une passée claire qui jurait avec le sombre des galets arrachés au cours supérieur, l’ocre des façades des maisons échelonnées le long du quai. L’impression datait de l’enfance. Je n’avais pas vérifié depuis longtemps. Ç’aurait pu être une lubie du jeune âge, un rêve qui a migré, insensiblement, dans la réalité et s’y est encastré. Et puis je suis parvenu à la page, assez loin, où l’auteur mentionne des lentilles calcaires, d’origine lagunaire, dont on peut observer un affleurement dans le lit de la rivière. Je me suis levé. J’aurais aimé parler à quelqu’un, lui confier une partie, au moins, de l’émoi que c’était de trouver pareille confirmation. Non, on ne rêve pas inévitablement ni toujours. Oui, ce qu’on sent, pense, fait, se rapporte à ce qui se passe, si incongru qu’il paraisse, malgré tous les démentis.

Pierre Bergounioux, Géologies, Galilée, pp. 46-47.

David Farreny, 8 juin 2013
esprit

On reconnaît les grandes époques à ceci, que la puissance de l’esprit y est visible et son action partout présente. Il en est ainsi de ce pays  ; dans le déroulement des saisons, dans le service des dieux et dans la vie humaine, aucune fête n’est concevable sans la poésie.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 55.

Cécile Carret, 27 août 2013
isolement

Quel crime faut-il commettre, déjà, pour être mis à l’isolement ?

Éric Chevillard, « mercredi 18 septembre 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024
dénuement

Je n’étais pas trop accoutumé à marcher sur de longues distances, et je me suis aperçu que ce n’était pas si terrible, en tout cas au début, avec de bonnes chaussures, or j’avais de bonnes chaussures. Je m’échauffais, et, n’eût été le bruit des roulettes sur le bitume, qui était un peu comme la musique de fond de ma progression vers nulle part, je me serais senti presque bien. J’ai failli abandonner la valise dans un fossé et je me suis ravisé. Avec une sorte d’amertume, j’ai noté que je ne renonçais pas à toute prévoyance et que ce n’était sans doute pas bon signe. J’avais, selon toute apparence, encore un problème avec le dénuement.

Christian Oster, La vie automatique, L'Olivier, p. 11.

David Farreny, 22 mars 2024

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