aboie

Désir qui aboie dans le noir est la forme multiforme de cet être

Henri Michaux, « Face aux verrous », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 437.

David Farreny, 22 juin 2002
perte

Peut-être est-ce celle-là, la vraie perte qu’implique mon âge, notre âge, autrement plus grave, si elle se vérifiait, que celle que je craignais : non pas de la capacité de faire l’amour, de séduire, de plaire, de jouer un rôle dans la ronde du désir, mais d’être amoureux sans arrière-pensées, passionnément, sans ironie, sans être tenté de se moquer un peu de soi-même, et de l’autre…

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 277.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
quoique

Mais, pour conclure sur le chant des oiseaux, j’ajouterai que le spectacle de la joie chez autrui, lorsqu’il n’y a pas lieu d’en être jaloux, nous réconforte et nous égaie toujours, et que par suite il faut louer la nature d’avoir pris soin que le chant des oiseaux, qui est une manifestation d’allégresse et une sorte de rire, fût chose publique ; contrairement au chant et au rire humains qui, eu égard au reste du monde, demeurent chose privée. Et c’est par une sage disposition de la nature que la terre et l’air sont remplis d’animaux qui, de leurs cris de joie sonores et incessants, applaudissent tout le jour à l’existence universelle et incitent à l’allégresse les autres créatures, en leur délivrant le témoignage perpétuel, quoique mensonger, de la félicité des choses.

Giacomo Leopardi, « Éloge des oiseaux », Petites œuvres morales, Allia, p. 171.

David Farreny, 9 nov. 2005
récapituler

Les journées que je passe, comme celle d’hier, à travailler furieusement le bois, me laissent courbaturé, rompu. Je dors à des profondeurs énormes, si loin de la surface qu’il me semble que rien ne me surprendrait vraiment au réveil. Et je suis un moment à récapituler les composantes du présent, l’âge qui est le mien, les enfants que j’ai, le métier que j’exerce, la couleur et le goût des jours où je suis.

Je lis l’Anthropologie de Sapir et corrige la thèse de Georges — l’expression, le français.

Il pleut sans discontinuer. Tout est trempé.

Pierre Bergounioux, « jeudi 28 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 47.

David Farreny, 11 mars 2006
soustraction

Louis Armand, à la télévision, L’invité du dimanche. Parle de tout avec faconde : « Ce petit Larousse illustrant. » Mélange d’autodidactisme et de mysticisme maçonnique ; et teilhard-de-chardinesque ; je croyais entendre mon maître d’hôtel Raymond, technicien généralisateur, et mon gardien Annest, intarissables sur tout. Et aussi mon cousin Jean Zafiro qu’on peut mettre sur n’importe quel sujet ; on s’assied à table : Hélène et moi, cent fois, nous nous amusâmes à le lancer à l’aveuglette, en nous étant donné le mot, sur l’évolution du fer à cheval, ou l’analyse spectrale des planètes : le cours (avec beaucoup d’assurance, de vanteries, de souvenirs, vrais ou faux) dure jusqu’au café. « C’est un imbécile, il a réponse à tout. » Ce mot de Voltaire m’a toujours frappé : une accumulation prodigieuse, un amas de connaissances encyclopédiques… se soldant par une soustraction.

Paul Morand, « 12 octobre 1969 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 279.

David Farreny, 25 mai 2009
rapport

Jules Renard et Fernando Pessoa sont morts à l’âge que j’ai aujourd’hui. Vous ne voyez pas le rapport.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 54.

David Farreny, 17 juin 2009
réalité

On vise la réalité, et puis finalement on tire n’importe où.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 65.

David Farreny, 5 juil. 2009
étirement

Je sais aussi de longs soirs d’été, haïssables. Une fatigue, un ennui, le sentiment d’être si différent des autres émanent pour moi de leur clarté. En ville, ces instants sont insoutenables. Je ferme les yeux et les vagues viennent mourir à mes pieds. À quoi bon les illusions ? Les réverbères ne s’allument plus. C’est le règne de l’indiscrétion. Cet étirement des jours vous met face à votre médiocrité. Il dit : «  Alors, toutes ces promesses que tu n’as pas tenues ? Tu prétends au bonheur, mais ne sais l’obtenir. Il est si proche de toi, pourtant, à portée de ta main. Mais tu es faible, et lâche, et négligent. La vraie vie ne sera jamais pour toi.  »

Bernard Delvaille, « Feuillets », Le plaisir solitaire, Ubacs, p. 14.

David Farreny, 15 août 2012
chier

Nous marchions depuis un quart d’heure, en silence, dans le centre-ville de Brive. La plupart des rues étaient piétonnes. Les pavés de la chaussée dessinaient des motifs fleuris. Les façades étaient toutes rénovées. Chaque pierre était jointée à la perfection. À espacements réguliers, des vasques de géraniums alternaient avec des containers d’œillets d’Inde. Des haut-parleurs diffusaient une musique d’ambiance relaxante. Il y avait des boutiques sympas et des haltes gourmandes. Une signalisation spécifique pour les piétons proposait des itinéraires malins. Nous commencions à nous faire chier.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 251-252.

David Farreny, 28 fév. 2015
acculé

Ira-t-il jusqu’à rogner

sur ses projets ?

Il ne fait plus rien

de peur d’être distrait

de peur de louper la vie

Et ce n’est qu’acculé par les heures

se liguant puissamment contre lui

qu’il jette

son petit nuage d’encre.

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 60.

David Farreny, 1er mai 2015
prestige

Si nous comprenions vraiment notre vie, le suicide aurait un prestige tel qu’il nous serait impossible d’y avoir recours.

Jérôme Vallet, « Il se dit que si la porte était fermée, il aurait plus chaud », Georges de la Fuly. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024

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